Comprendre la distanciation consommateur-produit pour développer des comportements de résistance
Il y a encore 100 ans, la plupart des gens produisaient eux-mêmes la majorité de ce dont ils avaient besoin : nourriture, vêtements, outils, etc. Ils étaient des producteurs-consommateurs. Même lorsqu’ils achetaient des produits, ils connaissaient le temps et les efforts nécessaires à les produire, pouvaient reconnaître la qualité des matières premières utilisées et, en général, connaissaient les conditions dans lesquelles se faisait la production, car le lieu de production n’était jamais bien loin du lieu de consommation1. Il y avait une réelle proximité entre consommateur et produit.
De producteur-consommateur à simple consommateur
Aujourd’hui, les gens ne produisent plus ce dont ils ont besoin : en échange de leur travail, ils reçoivent un salaire. Avec ce salaire, ils consomment. Ils ne sont plus des producteurs-consommateurs mais de simples consommateurs. Du produit qu’ils achètent, ils connaissent tout au plus le pays d’origine et la composition. Ils ne connaissent plus ni les conditions de production, ni ceux qui l’ont produit, ni les conséquences sociales et environnementales de sa production, ni la façon dont il est arrivé jusqu’à lui, ni les intermédiaires impliqués, ni la répartition des profits entre producteur, intermédiaires et vendeur. En quelques dizaines d’années, le consommateur a pris ses distances par rapport au produit.
Le consommateur manque de repères, il a perdu la conscience du produit
C’est au moment de l’acte d’achat que cette distanciation se fait particulièrement sentir et prend toute sa dimension : à cause d’elle, le consommateur a perdu la conscience de la plupart des facteurs qui lui permettraient d’apprécier et d’évaluer le produit.
D’une part, il y a ce que le consommateur a du mal à évaluer, comme les qualités du produit, sa valeur réelle, l’impact de son utilisation sur la société. Le consommateur manque de repères avant tout parce qu’il ne produit plus lui-même. À ce manque de repères s’ajoute le dérèglement orchestré de ses repères par le marketing et la publicité. Il n’a plus la conscience ou le respect du travail manuel. Il ne connaît plus le cycle des saisons qui règle les productions alimentaires et s’attend maintenant à trouver des fraises ou des produits aux fraises toute l’année. Il néglige le petit commerçant de quartier pour la grande surface. Il se laisse séduire par des emballages et des conditionnements toujours plus sophistiqués, au mépris des conséquences environnementales. Il est prêt, tout-à-la-fois, à privilégier un produit importé face à un produit local, parce qu’il est moins cher, et à payer un produit au prix fort, parce qu’il a une « marque ».
D’autre part, il y a ce que le consommateur ne sait pas ou ce qu’on lui cache. Que le produit ait été fabriqué par des enfants ou dans des conditions de travail moyenâgeuses, qu’il ait entraîné la surexploitation de ressources naturelles non renouvelables ou la pollution de la nappe phréatique ne peut pas avoir d’impact sur l’attitude du consommateur si ces faits lui sont inconnus. Le vendeur2 l’a compris qui utilise toutes sortes de méthodes, celle de la sous-traitance en premier, pour rendre ses opérations opaques: il peut ainsi chercher à s’affranchir des lois sociales, fiscales et environnementales pour réduire ses coûts de production et augmenter ses profits.
C’est la mondialisation qu'aime tant Percy Barnevik, le président de l’entreprise suisse ABB, multinationale de l’équipement électrique, qu'il décrit ainsi en 1995: « Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales »3.
La distanciation affaiblit le consommateur
On le comprend bien, la distanciation déconscientisante affaiblit le consommateur dans sa relation avec le vendeur. C’est pour cela que la distanciation déconscientisante n’est pas seulement un phénomène intrinsèque à la société de consommation, un phénomène naturel en quelque sorte, mais bien un phénomène voulu, entretenu et encouragé par les acteurs dominants du marché. Il est donc urgent pour le consommateur de s’atteler à l’identifier et à la comprendre pour pouvoir développer des comportements de résistance.